"Ulysse explore les passes de la mer, les paysages et les hommes
d’un Nouveau Monde. Il pousse et repousse les limites enserrant
les Grecs dans un monde qu’ils s’imaginaient fini. Les
historiens en font justement le représentant avancé
d’un nouvel âge pour les Grecs, celui des expéditions
coloniales : un héros " proto-colonial ". Mais toujours
un but le guide, le retour. Ses aventures ont non seulement une signification.
Elles ont une direction, un orient vers qui il va : Ithaque, son point
de départ. Ulysse est un héros de la découverte,
il est vrai ; il n’hésite pas à donner l’ordre
d’aller plus avant, toujours plus avant. Mais on ne découvre
que dans la mesure où l’on revient, pour faire relation
de ce qu’on a appris, de ce qu’on a vécu : l’explorateur
mort au bout du monde n’a rien découvert du tout. Or
quand on revient, on trouve tout changé : son pays, sa famille,
et l’on se découvre soi-même autre que l’on
était au départ.
En cela, Ulysse est notre contemporain. Les limites de notre monde
du XX° siècle ont été repoussées aussi
loin qu’il est aujourd’hui concevable. Quel nouveau monde
avons-nous aussi à explorer, nous ne le savons guère,
pas plus qu’Ulysse n’anticipait ce qu’il rencontrerait.
Aux Grecs de son temps, Homère offre un nouveau modèle
de héros pour penser les temps qui leur adviennent. A nous
qui avons d’autres navigations à entreprendre, en un
autre nouveau monde, d’autres Ithaque aussi à retrouver,
le poète offre mieux qu’une somptueuse fiction : une
"instruction", comme disent les marins". |
Jean Cuisenier, Le Périple d’Ulysse, p.389 |
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