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Place
et musique de danse à Sîrbi, Roumanie, 1972.
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Ainsi me trouvais-je confronté avec une difficulté majeure des études de
parenté, oubliée dans les sociétés européennes qui ont perdu, comme la France,
l'entraînement populaire au langage poétique et ont perdu jusqu'aux souvenirs,
sinon en de rares lieux, d'une compétence largement partagée à l'improvisation
en vers. Les actes majeurs qui mettent en uvre les règles du choix du
conjoint ne sont-ils pas le fait d'un engagement total de l'acteur qui s'exprime
par les attitudes et les postures, par la gestuelle et par la musique, par
le cri et par le chant, par le pleur et par le rire, par les appétits de
la bouche et par les pulsions du sexe non moins que par la parole et par
le discours ? Les opérations qui sanctionnent les arrangements matrimoniaux
ne se déroulent-elles point sous la forme de cortèges à la composition obligée,
aux itinéraires réglés, aux destinations fixées ? N'ont-elles point pour
instruments majeurs ces étendards et ces voiles, ces couronnes et ces liens,
ces nourritures rituelles et ces boissons alcoolisées, ces pas de danse
et ces figures ? Les formules sacramentelles prononcées par le prêtre à
l'église, les longs textes de " pardon" clamés par les "ordonnateurs" de
noce y ont, certes, leur place et concourent a la composition des champs
sémantiques sur lesquels se déploie l'échange des messages. Mais pour ces
textes mêmes la forme versifiée, la position de la voix, le style d'émission
du son, la mélodie de la clameur ou du chant ne façonnent-ils point le sens
des propos échangés non moins que les mots du discours articulé ? Quant
aux funérailles, ne mettent-elles point en scène les relations de filiation
et d'alliance avec le même souci de globalité, à cette différence près que
les règles d'expression prennent alors en compte non plus le rire et les
pulsions de la sexualité, mais la plainte, le pleur et le sanglot, le corps
dans sa détresse et l'âme dans son angoisse? "  |