Pause,
lors du rituel de la hora, la danse du dimanche, à Sîrbi,
Roumanie (1972).
"Mais
qui plus est, cette grande manuvre collective n'avait rien d'un tourbillon
inorganisé ou de ces déambulations alternées si fréquentes
dans les places ou les boulevards des villes méditerranéennes.
Elle était tout entière orientée vers un lieu marquant
et un temps fort pour la cérémonie du jour la place de danse
où les jeunes vont se produire non dans le mutisme, les soupirs ou
les grognements auxquels sont réduits les danseurs dans nos modernes
discothèques sur-sonorisées, mais dans les interpellations
joyeusement clamées, les strigaturi, ou dans les chants sur
textes fixés comme si la vie et l'opéra ne faisaient qu'un.
Ils ne faisaient qu'up, en effet, car là des avenirs matrimoniaux
s'esquissaient, des destins peut-être s'arrêtaient, dans l'austérité
et la détresse pour certains et certaines, dans la joie et l'allégresse
pour d'autres, le tout sous la vigilance des concurrents et des complices,
non moins que des parents et des possibles alliés. Simple et banal
cérémoniel? Grand rituel? Je n'en décidai point sur
le champ, mais me remémorai le propos de Claude Lévi-Strauss
lu et noté auparavant, "le rituel n'est pas une réaction à
la vie, il est une réaction à ce que la pensée fait
d'elle. Il ne répond ni directement au monde, ni même à
l'expérience du monde; il répond à la façon
dont l'homme pense le monde. Ce qu'en définitive le rituel cherche
à surmonter n'est pas la résistance du monde à l'homme,
mais la résistance, à l'homme, de sa pensée". Perplexe,
j'en écoutai d'autant plus attentivement les leçons de Mihai
Pop et commençais à comprendre les raisons de l'attention
presque exclusive que les folkloristes roumains portent à leur littérature
orale et, par l'étude des coutumes, aux textes liés à
la pratique des usages. Je décidai donc de porter moi-même
la plus grande attention, dès le recueil des données, à
la forme selon laquelle le discours est articulé, entendant par là
non seulement la forme du texte, comme Si celui-ci était seul chargé
d'exprimer la pensée, choix théorique qui ravalerait les circonstances
de la production effective du texte au rang de contexte, de prétexte
ou de sous-texte, entendant par là plus largement la forme globale
selon laquelle le texte surgit comme une production entière de celui
quile profère. Une part substantielle des données recueillies
lors de mes enquêtes sur le terrain aurait donc la forme d'enregistrements
de textes dits, clamés ou chantés dans les circonstances de
leur production par les acteurs sociaux eux-mêmes et de photographies
prises lors de ces circonstances elles-mêmes. "
J.C. :
Le Feu Vivant, la parenté et ses rituels dans les Carpates, Paris,
PUF, 1994, pp. 18-19
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