|
 |
 |
 |
Héros
de l'épopée bulgare, Krali Marko, le "Royal Marko",
peint par un artiste italien contemporain, David Baffetto.
|
|
Révoqués
dans un passé imaginaire, les héros épiques n'en sont
pas moins convoqués dans les temps présents par la performance
du chanteur, porteurs, par là même, d'un obscur et lourd message
dont l'interprète et son auditoire pressentent le poids, tout en
sachant qu'ils ne peuvent en épuiser le sens. La terre bulgare offre,
comme la terre serbe, un terrain exceptionnel pour comprendre ce jeu raffiné
de la mémorisation et de l'actualisation. Ses aèdes, bardes,
rhapsodes de village ou maîtres conteurs, mendiants aveugles ou débiteurs
de vers en foire, se livrent à ce savant exercice depuis des siècles,
voire des millénaires (...) La guerre mondiale de 194O, l'irruption,
puis la chute des régimes communistes, la guerre de Bosnie puis les
incessants conflits civils qui s'ensuivent, les manifestations puis les
affrontements dramatiques de populations entières avec des armées
étrangères et des polices réactivent, au surplus, les
conditions dans lesquelles les aèdes et les rhapsodes d'autrefois
ont chanté leurs épopées. Le fait est que l'expression
épique, parfois considérée par Parry (Parry Milman,
Lord Albert, Serbocroatian Heroic Songs, Cambridge Mass., Belgrade,
1954) comme hors d'usage déjà dans les années 1930
en Yougoslavie, était encore pratiquée en Bulgarie jusque
dans les années 1970 dans certains villages du Pirine. Complètement
sortie de l'usage courant en Bulgarie dans les années 1990, elle
était bien connue des anciens sous sa forme orale et comme genre
narratif. Surtout, elle était encore parfaitement maîtrisée
par quelques rares détenteurs des arts originaux de l'expression
orale, de l'accompagnement instrumental et du chant. C'est ainsi que j'ai
pu recueillir moi-même, sur les indications de Todor Todorov (auteur
d'un ouvrage en bulgare sur les chanteurs aveugles et mendiants en Bulgarie),
quelques merveilleux spécimens de la poésie épique
bulgare, non sans beaucoup de recherche, à Bansko et Brednitza dans
le Pirine, et surtout à Paniceri dans le district de Plovdiv.
 |