|
|
|
|
Femme
et enfants Pomak. Brednitsa, Bulgarie.
|
|
A la différence
de sociétés à moitié exogamiques où un
preneur d'une classe donnée A reçoit une femme de classe opposée
et complémentaire B, tandis qu'un donneur de cette classe complémentaire
B reçoit une femme de la classe du preneur A, une société
telle que la société bulgare du Pirine pratique, comme les
sociétés européennes qui l'entourent, ce qu'avec Claude
Lévi-Strauss la tradition anthropologique contemporaine nomme l'échange
généralisé. Selon ce modèle d'échange,
le donneur qui se sépare d'une fille n'est jamais assuré de
recevoir une belle-fille en retour, car le preneur n'a aucune obligation
de la lui fournir. Le donneur la recevra, s'il la reçoit jamais,
d'un autre partenaire à l'échange dans le même cercle
de conjoints possibles, au terme d'une nouvelle transaction sans rapport
avec la première. La relation entre preneur et donneur est donc,
dans ce système, déséqulibrée par construction,
s'agissant de l'objet de l'échange : la fille donnée par
l'un et prise par l'autre. La transaction matrimoniale ne peut alors se
conclure sans qu'un certain équilibre soit rétabli, comme
c'est le cas pour toute transaction. Il faut, à cette fin, que le
preneur verse au donneur une compensation dont la valeur soit équivalente
à celle qu'il reçoit de lui ou cède une partie de ses
biens au bénéfice du couple en formation et de sa descendance
attendue. L'ensemble de ces biens formera ce que la tradition anthropologique
nomme le"bride price", le "prix" à payer
pour la fiancée, lorsque la cession est consentie du preneur au donneur;
la "dot" lorsque la cession est consentie par le donneur à
sa fille pour garantir l'alliance; la "dotation d'établissement"
lorsque la cession est consentie par le preneur à son fils pour garantir
l'autonomie économique du couple en formation. Les Balkans présentent
cet intérêt particulier que, sur une très petite aire
culturelle qui va de la Serbie à la Grèce et de l'Albanie
à la Roumanie en passant par la Bulgarie, deux manières différentes
de gérer un système d'échange matrimonial généralisé
s'opposent dans l'espace et dans le tempes et offent, chacune, une pluralité
de variantes (...); Selon la première formule de l'échange
matrimonial généralisé, celle que pratiquent les Albanais
islamisés, les Turcs de Bulgarie ou de Macédoine et les Pomaks,
qui sont des Bulgares islamisés, le versement à faire par
le preneur est assez substantiel pour être pensé par les protagonistes
comme un "achat" (...). La seconde manière de rétablir
l'équilibre au profit des donneurss dans un système d'échange
généralisé consiste, pour les preneurs, à se
dessaisir irrévocablement d'un certain nombre de biens, terres troupeaux,
fonds de commerce, afin de facicliter la vie commune au jeune couple et
afin de rendre possible son installation future quand il pourra s'établir
par lui-même : c'est une "dotation d'établissement"
qui n'a pas à être 'rapportée' au décès
des parents (...) : c'est ce qui se passe en Roumanie (...). Dans quelle
mesure ces deux formules de l'alliance matrimoniale en régime d'échange
généralisé sont-elles solidaires, l'une, de la culture
islamique, l'autre, de la culture chrétienne? Ou bien solidaires,
l'une, de la culture turque, l'autre, de la culture slave? Ou bien encore,
l'une, d'une économie où la terre est un bien abondant et
disponible, où la richesse dépend donc du travail plus que
de la propriété foncière; l'autre, d'une économie
où la terre est un bien limité et rare, où la richesse
dépend donc de l'appropriation des biens fonciers plutôt que
des capacités de main d'uvre? L'ethnographie des pays balkaniques
montre que la généralisation est ici hasardeuse, tant les
pouvoirs politiques et religieux ont changé dans l'espace et dans
le temps. |