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Au
banquet funeraire, la table du mort. Une fillette y consomme la
nourriture rituelle. Dobritsa, Roumanie.
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Au banquet
funéraire (...), on mange et on boit, assurément, mais avec une extrême
modération (...). On ne s'est pas mis à table de manière quleconque, mais
pour communiquer entre soi en présence du mort, et pour communiquer avec
le mort en présence de tous. Voilà pourquoi l'absence du mort serait littéralement
insupportable. Il faut que le mort préside le banquet, qu'il ait part
à la nourriture festive. Mais comme il a quitté le monde d'ici-bas et
commence son voyage vers l'au-delà, il faut aussi que les vivants partagent
avec lui, en frères, la nourriture spéciale qui lui convient désormais,
cette bouillie essentielle qui a nom coliva. Une nourriture blanche
comme le lait, douce au goût comme lui (...). Immémoriale. Et comme le
mort ne peut pas être présent physiquement, en chair et en os, qu'il ne
peut pas être représenté non plus par quelqu'un qui jouerait son rôle
tel un acteur au théâtre, il faut que les actes attendus de sa part soient
accomplis par un être vivant en ce monde. Quelqu'un qui soit son opposé
complémentaire, qui vienne de ces lointains que lui, mort, va rejoindre.
Quelqu'un qui entre dans ce monde-ci, alors qu'il entre, lui, dans l'autre
monde. Un être humain plein de vitalité et de fécondité espérée, tandis
qu'il a perdu, lui, toute vitalité et toute fécondité. Une fillette de
douze ans remplit toutes ces conditions. Elle peut, elle doit prendre
l'écuelle de terre (...), l'avaler sans répulsion. Pour affirmer par la
nourriture et par le geste la grande fraternité des vivants et des morts.

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